Rencontre avec le club de lecture du TNS le 3 avril 2007 Imprimer

Grande première pour cette rencontre du Club des Lecteurs qui accueillait le Groupe de Lecture du Théâtre National de Strasbourg animé par Andrée Pascaud. Les participants à cette soirée ont été nombreux, les membres des deux groupes étant présents à parité.

Nous avons eu le plaisir d'accueillir Jean Cagnard, écrivain et metteur en scène dont le texte "Les gens légers" (Editions Espaces 34) avait été proposé à la lecture des deux groupes.

"ça raconte ça, ce voyage qui a conduit six millions de gens à perdre ce qui les composait pour devenir ce qu'on leur demandait, une fumée noire. Pour cela, il faut s'alléger, de poids, d'esprit, prendre la prouesse de l'oubli au centre de soi, apprendre sans peau et sans frontière. Mais pas d'inquiétude, le travail était facilité, le séjour organisé ; on surveillait à ce que chacun fût considéré personnellement." Jean Cagnard

"Les gens légers" est une pièce pour marionnettes, écrite à la suite de la commande d'une troupe. Elle a pour sujet la Shoah.

De nombreuses questions concernant l'écriture théâtrale et particulièrement celle pour marionnettes ont été posées à l'auteur qui y a répondu longuement avec une grande sincérité.

L'écriture marionnétique n'existe pas réellement, la marionnette ayant une vertu métaphorique forte. Elle permet par le biais du genre des possibilités inexistantes avec des acteurs (une marionnette peut par exemple avoir quatre bras, en perdre un, sans que cela choque le public ; ce serait impossible avec un acteur). La pratique de la marionnette est proche de celle du cinéma d'animation.

Dans le texte de Jean Cagnard, il n'existe pas véritablement de frontière entre didascalies (indications de mise en scène) et texte. Pour lui, la didascalie n'est pas une simple information, elle appartient au texte. Quelques unes ont d'ailleurs été reprises dans la représentation. Elles pourraient presque être considérées comme un personnage. Le cahier des charges de la commande précisait le thème (la Shoah, la durée de la pièce (1 heure 30), … Les accélérations temporelles, les ellipses peuvent passer dans les didascalies.

Pour ce qui concerne la mise en scène de ses textes, Jean Cagnard se réserve le droit d'y intervenir dans la mesure où il veut que le sens qu'il souhaite donner à la pièce soit préservé. Il y a parfois des ajustements.

Dans la mise en scène, l'illustration sonore, les lumières peuvent faire beaucoup pour toucher le spectateur, pour relayer la puissance poétique du texte seul.

Pour Jean Cagnard, le propre du théâtre, c'est que tout le monde peut jouer tout le monde, à condition que cela ait un sens. Avec les marionnettes, on peut aller plus loin encore. Par exemple, dans "Les gens légers", la voix de la petite fille émanait à trois mètre de la marionnette, comme une idée de conscience. Les gens qui revenaient des camps utilisaient parfois des artifices pour parler de l'horreur vécue. Dans la pièce, la petite fille est peut-être l'un de ces artifices, elle introduit un peu de légèreté dans le propos, d'innocence. A la fin de la pièce, la petite fille, la conscience est engloutie.

L'homme qui parle avec la petite fille est la représentation du mal, du responsable de la catastrophe. Le tas de cendre n'est pas la représentation des victimes, c'est un élément de la tragédie. Il représente les gens brûlés mais c'est aussi la machine qui est en marche, qui participe au projet global.

Les victimes, ce sont les gens légers.

La découverte du véritable sujet du texte n'est que progressive. Certains lecteurs très jeunes (des lycéens) n'ont pas spontanément compris la référence du propos. Si le véhicule de la pièce est métaphorique, son sens est concret. Pour Jean Cagnard, le texte est aussi poétique dans la mesure où il s'adresse à l'émotion, au ressenti, pas forcément au rationnel.

L'un des auditeurs remarque que le prologue de la pièce est à l'inverse du propos de la pièce, il est presque une invitation au voyage. En effet, dit Jean Cagnard, le titre et le prologue peuvent être lus une première fois à contresens, la seconde lecture éclairant la compréhension. On entre progressivement dans la réalité de la Shoah, comme dans la réalité une dictature ne s'impose jamais d'un seul coup.

Jean Cagnard pointe aussi dans sa pièce certains moments de théâtre dans le théâtre, c'est-à-dire des moments de vie, de rire, comme il en existait dans les camps, aussi surprenant ou choquant cela puisse-t-il paraître. L'une des spécificités du théâtre, c'est, selon lui de mettre de l'humour dans les choses tragiques.

A la question d'un des participants, Jean Cagnard répond que l'écriture de ce texte ne le rendait pas triste mais le catastrophait. "Je ne me sentais pas le droit d'écrire sur un sujet pareil parce qu'il est trop immense. Il a fallu que quelqu'un qui a été touché par la Shoah me le demande pour que l'écriture devienne possible. Le temps d'écriture a été assez long (presque un an) avec des pauses, des reprises. Je pars dans l'écriture sans plan établi, je suis parfois moi-même surpris par l'évolution des personnages. Ensuite, la réécriture fait partie de l'écriture ; il faut laisser reposer le texte, le reprendre comme neuf, être impitoyable avec lui et soi-même et réécrire si nécessaire."

La rencontre s'est poursuivie par des échanges en tête à tête avec Jean Cagnard pour ceux qui le souhaitaient. Une belle façon de prolonger un moment rare.

[Né en 1955, Jean Cagnard est l'auteur notamment de textes de théâtre (L'Avion suivi de De mes yeux la prunelle, Un cerf-volant sur l'avant-bras), de poésie (L'Arête centrale du caillou), de roman (Le Funambule Approximatif) et de théâtre de marionnettes (L'Endroit jamais, Les Petites Choses.)]

 

Après une soirée sur le métier d'éditeur passée avec Olivier Cohen, directeur des éditions de l'Olivier en octobre et cette soirée sur l'écriture théâtrale avec Jean Cagnard, l'association "120 Grand'rue" vous invite à rencontrer Patrick Cahuzac, directeur de la "petite" maison d'édition "Inventaire Invention" qui publie des livres à la fois sur papier et en ligne sur Internet. Rendez-vous le 15 mai 2007 à la librairie.

 

Mise à jour le 29.04.09