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Commentaire
Les lecteurs qui ont lu le livre en entier le qualifient de difficile mais majeur. Tout d'abord par ses qualités littéraires : une écriture qui donne l'impression de lire en couleurs et en trois dimensions (l'arrivée à Stalingrad est un morceau d'anthologie, on "voit" les événements décrits), la construction des chapitres en formes musicales, les nombreuses références (Villon, Bach, Arendt, le film « La chute », « Moby Dick » de Melville…), la veine romanesque tant pour dessiner le personnage que pour raconter de façon épique sa traversée des pays, de l'histoire, de l'horreur. L'aspect historique est particulièrement bien documenté, et permet à l'auteur de faire de son livre un concentré hallucinant de ce qu'un système comme le national-socialisme a pu engendrer comme monstruosité. Le livre pose également des questions essentielles, tant sur le thème lui-même – le nazisme – que sur son traitement, c'est-à-dire la description des faits du point de vue d'un officier SS. C'est ce point qui a constitué la difficulté centrale pour la plupart des lecteurs, où qu'ils en soient dans leur lecture, et qui alimente l'essentiel des échanges. Le malaise tient bien évidemment aux faits eux-mêmes. Ils ont beau être connus, il n'est pas possible de se confronter à cette entreprise de destruction et de mort sans un mouvement de recul. D'autant que l'auteur en fait, par l'intermédiaire de son personnage, une description détaillée, quasi-détachée voire complaisante. Pire, il amène par là la logique qui a prévalu alors : plutôt que de chercher en vain dans une forêt un lieu pour une fosse commune car il s'en trouve déjà trop, plutôt que d'avoir à parachever les exécutions ratées, ne vaut-il pas mieux "organiser" tout cela en sorte que les victimes souffrent moins ? On pense à la réponse d'Eichmann à la question de l'arrêt du processus : "tout aurait été désorganisé". Le malaise tient aussi au personnage, d'une totale ambivalence. Il dit n'avoir pas de remords, mais les désordres de son corps disent autre chose. Pendant la guerre il reste dans la position d'observateur où le met sa mission, il laisse faire les choses sans y participer, et pourtant il s'interroge. Sa personnalité est d'une complexité extrême, peut-être excessive : cultivé et érudit, il est aussi pervers et parricide. D'entrée le lecteur est pris à parti : "vous auriez fait comme moi", puis il est emporté dans l'histoire. L’universalisme et l’actualité de ce roman sont aussi soulignés. Rappelons en effet que par sa profession Jonathan Littell s’est trouvé sur le théâtre de conflits contemporains dont l’horreur a certainement nourri sa réflexion. (Il travaille pendant 7 ans pour l’association humanitaire Action contre la faim, multipliant les missions, en Bosnie puis en Tchétchénie, en Afghanistan, au Congo, à Moscou.) Cette opacité inscrit la Shoah dans l’Histoire comme un crime incomparable. Et Jonathan Littell ne se livre, de fait, à aucune comparaison. La question du bourreau, pourtant, il estime qu’elle se pose avec acuité aux hommes de toutes les générations, jusqu’en ce XXIe siècle commençant : il y eut le Vietnam, les guerres de décolonisation, il y a désormais Guantánamo et l’Irak. Alors, pose-t-il, « aujourd’hui, les bourreaux, c’est un peu nous ». Citation extraite de Télérama, article de Nathalie Crom. Le roman pose enfin la question de la fiction : comment être attentif au moment où on est pris dans le quotidien du personnage, c'est-à-dire comment résister à cette fascination si dérangeante ? Comment dépasser l'horreur en considérant le livre comme une oeuvre, comme un objet artistique ? Quand peut-on dire que c'est ou non de la fiction ? C'est peut-être l'impossibilité de répondre à ces questions qui fait de ce livre un grand roman. Deux livres sont proposés en prolongement à cette lecture : - « Une femme à Berlin » : Journal 20 avril-22 juin 1945 – Anonyme – Témoins Gallimard - « La question humaine » – François Emmanuel – Livre de poche
NB : Les rédacteurs sont conscients de n'avoir pas restitué ici l'exhaustivité des points de vue qui se sont exprimés. Ils ont tâché de rendre compte d'une tonalité d'ensemble.
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