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Commentaire
Sur les ruines de la guerre une jeune fille allemande se donne à un soldat français en échange de nourriture. Il accepte de l'épouser lorsqu'elle tombe enceinte mais rentre en France dès l'ordre de démobilisation. Elle le rejoint plus tard en Lorraine pour vivre avec lui mais ne sera jamais heureuse et restera toujours une étrangère, une femme allemande. Lors de sa venue au Quai des Brumes, Fabienne Swiatly a précisé qu'il s'agissait de l'histoire de sa mère, une histoire transformée en fiction, et qu'elle plongeait ainsi dans la fiction à partir de personnages bien réels qu'elle a connus ou rencontrés. Les lecteurs ont été touchés par l'écriture factuelle et détachée qui arrive à faire passer des choses très violentes dans des épisodes apparemment tout simples de la vie ordinaire. Les aliments, leurs odeurs, sont très présents, cela plonge de façon lancinante dans le concret de la vie de cette femme. Les scènes sont un peu comme des photos ou des petits films, les personnages n'ont pas de nom, tout cela accentue la distance, l'extériorité, le détachement de l'affect. La distance avec les personnages, perçus comme très lointains, marque la non intégration : "ne pas être là". L'ambiance est triste, le récit dit l'enfermement, l'incompréhension totale, l'absence de salut. C'est l'histoire d'un assassinat et d'une lente, lente chute. Au point que certains lecteurs, la trouvant trop déprimante, auraient préféré qu'on leur raconte l'histoire de la grand'mère qui tient en Allemagne une entreprise à bout de bras. Pourtant, pour qui a connu l'après-guerre, le contexte de l'époque tel qu'il est décrit est réaliste et authentique. Sans être un homme méchant, le mari n'aide en rien à l'intégration de sa femme, la famille la traite presque comme la bonne, on ne lui parle pas, le village tout entier ne l'accepte jamais totalement. Le moment le plus triste est peut-être celui où sa mère vient lui rendre visite, la relation n'existe plus vraiment, elle n'est plus allemande et elle n'est pas française non plus, avec cette réflexion grave de la mère qui se demande si on peut encore aimer ses enfants quand ils sont devenus adultes. Quelques moments de respiration tout de même : quand elle va au marché, quand elle rencontre des étrangers, quand elle fait de la bicyclette, quand elle va au bal et qu'elle rencontre l'italien. Fabienne Swiatly a reconnu que l'épisode de la bicyclette lui est venu d'un besoin d'alléger l'atmosphère et donner de l'air à son récit. C'est aussi un roman sur la langue, qui rapproche puis qui éloigne, qui est la même sans être la même, impossible à partager, qui se modifie à tel point que la mère ne la reconnaît pas, qui s'efface petit à petit. Un livre apprécié comme très sensible. Un précédent livre de Fabienne Swiatly, Gagner sa vie, brosse également un tableau très juste de l'époque.
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