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Ouvrage 

Titre:
Entre les deux il n'y a rien
Auteur:
Riboulet (Mathieu)
Edition:
Verdier
Réunion du:
24.11.2015

Commentaire

entrelesdeuxilnyarien

Né en 1960, Mathieu Riboulet a été le témoin, au sortir de l'enfance, des grands mouvements sociaux contestataires en France, et du choix de la lutte armée qu'ont fait certains de ces mouvements en Allemagne et en Italie. Il raconte ses années 70 au plus près de l'époque, ces années où il s'éveille en même temps à la politique et à la sexualité, années de colère, d'espoir, de violence. Il retrace la trajectoire de cette génération, et les impasses – répression, sida – de la fin des années 80 et 90.

Tout cela dans une phrase intense, ponctuée de leitmotivs sur ceux qui sont "morts comme des chiens" ou sur l'expression du titre "entre les deux il n'y a rien".

Est-ce un récit autobiographique ? Partiellement oui, le projet de l'auteur étant bien de préciser comment il a vécu les événements de l'époque, mais il introduit également dans le texte des éléments de fiction, des personnages notamment. Mathieu Riboulet a donné lui-même la réponse lors de la très intéressante rencontre du 4 novembre 2015 au Quai des Brumes.

 

Le livre suscite entre les lecteurs un débat animé. Les événements ont beau être connus, si l'on en a été contemporain, c'était parfois de façon lointaine et distante, plus jeune on en a pu en avoir des lectures parcellaires ou erronées. D'autant que le doute a longtemps subsisté – et subsiste encore pour certains – quant aux conditions dans lesquelles sont morts certains protagonistes. D'où l'importance de mentionner noms et dates de ceux qui sont morts abattus en temps de paix par des forces de l'ordre d'états réputés de droit, l'importance de prendre en charge la tension et les revendications de ces années-là, de resituer la révolte et ses acteurs. Cela éclaire sur la mise en place d'une société prospère à tout prix (au prix par exemple du reclassement d'anciens dignitaires nazis), sur les récupérations par les gouvernements, et au final sur ce qui se passe aujourd'hui. Pour qui pense par contre que la clarté a été faite sur certaines morts, notamment celles des prisonniers politiques, l'auteur relativise l'histoire et en reste au point de vue de l'époque, se rapprochant ainsi dangereusement du négationnisme. Il ne fait que défendre son point du vue historique et personnel. Est relevé aussi que les mouvements d'extrême-gauche ne revendiquaient pas la liberté sexuelle.

 

L'auteur fait en effet de la revendication homosexuelle – qui n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui – et plus généralement du sexe, un moyen fort de lutte politique, et ce n'est pas le thème le moins dérangeant du livre. Ce qui fait dire à certains : "Jouir et faire jouir, c'est un peu court comme programme politique", et qui pu déranger aussi par le caractère cru et répétitif du propos. L'auteur a-t-il fait le lien a posteriori, prenant conscience en écrivant, ou la revendication était-elle là dès l'époque ? La réponse est sans doute dans l'intitulé de l'un des chapitres : "Le sexe ça n'est pas séparé du monde. 1977".

 

Il montre également comment les choses se sont refermées, comment s'est délitée la façon de mettre en jeu le collectif. Si certains jugent cette parole pessimiste, ce n'est pas le cas de tous. C'est peut-être bien ce temps d'arrêt de l'accélération généralisée, cette façon de "Prendre dates", qui est nécessaire au collectif pour se constituer. Ces temps d'arrêts aussi sur le corps qui constituent de très beaux moments. En tout cas la colère tire le narrateur du désespoir et du pessimisme. Et prend physiquement le lecteur – "c'est un vrai coup de poing à l'estomac" – grâce à une très belle langue, très forte, très vivante, très dense.

 

A de rares exceptions près, l'écriture et le style de Mathieu Riboulet suscitent en effet l'admiration, de même que la richesse de sa pensée. On peut citer par exemple dans les premières pages la belle façon de dire comment l'histoire fait corps : "l'histoire […] en 1871 ça quitte les livres et ça vient s'écrire dans le corps de mon arrière-grand-mère qui, me tenant sur ses genoux quatre-vingt quatorze ans plus tard, imprime en moi le souffle qu'elle a pris au sortir de Sedan et du massacre des communards."

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Mise à jour le 12/10/2024